Le Nouvelliste | Publié le : 6 juin 2007
Le Fantôme de Lisbeth / Roman: Un roman qui se lit rapidement. Mais un texte dont la belle légèreté traduit l’introduction dans le genre d’une manière toute contemporaine de faire vivre un drame sans l’étalage de la grande tragédie.
Il est difficile de contenir autant d’intensité romanesque dans si peu de pages. On se dit aussi que cette concision littéraire suscite l’appétit pour un texte plus élaboré. Le sujet a tout pour séduire le lecteur qui se demande pourquoi la talentueuse Jessica Fièvre a choisi d’écrire « Le Fantôme de Lisbeth » sur le ton d ‘une brève nouvelle plutôt que sur celui d ‘un plus long roman dont les descriptions, les dialogues, les intrigues en feraient un des volumes les plus séducteurs à Livres en folie, édition 2007.
Le roman se lit rapidement. Bien que certaines situations nous plongent dans un monde contemporain, l’atmosphère générale du texte est celle d ‘un siècle un peu révolu où l’élégance du ballet jouait un rôle dans l’imagination des familles antillaises. Ces dernières regardent souvent vers les goûts séculaires et une certaine esthétique de vivre en métropole. « Magalie avait cinq ans, écrit l’ ‘auteur, quand sa mère avait projeté sur elle ses rêves de tutu roses. »
L ‘idée universelle d’une génération ancienne qui tente de réparer ses échecs sur la plus jeune parcourt le texte et sert de justification à la protection d’une mère qui cherche fébrilement le succès de sa fille. Comme toujours, la volonté des parents se heurte à un début de résistance. « Mais, deux ans plus tard, la danse était devenue une passion pour Magalie qui avait appris à aimer l’ensemble complexe d ‘acrobaties et de pas rythmés. » Tout se passerait sur le ton du mouvement du corps, de l’intimisme des relations et de l’idéal d’une petite bourgeoisie en quête de bravos, s’il n’y avait, dans les coulisses ou en haut de l’escalier de bois de la maison, l’étrange présence de Lisbeth.
« Vingt ans plus tôt, écrit l’auteur, Lisbeth avait raté une marelle de cet escalier et s’y était brisée la nuque. » Toute la trame du livre se déroule à partir de ce mystère qu’accompagne génialement une musique de Tchaïkovski. Ce grand compositeur, étant un des maîtres de la musique savante romantique, on situe donc ce théâtre de l’intimité, du geste beau, de la porte qui grince et de l »étrange dans un décor décadent qu’anime, avec une volonté de tous les instants, l’amitié chaleureuse des danseuses.
On apprend que Lisbeth était victime du « régime de Papa Doc. » Que ses parents étaient partis pour les Etats-Unis, «abandonnant leur fille unique aux soins d’une vieille grand-tante acariâtre.» Une histoire sur fond de terreur politique ayant des conséquences sur la vie psychique des protagonistes. On n’a pas encore investigué le domaine des traumatismes psychologiques de la dictature. Jessica Fièvre nous invite à lever le voile en ce lieu caché avec l’histoire d’une fillette orpheline qui n’a reçu aucune lettre de ses parents forcés à l »émigration.
Le roman de Jessica Fièvre se place entre la netteté du réalisme et le mystère symbolique des existences qui hantent des maisons. S’il nous apprend un peu du caractère des « esprits », il imite le lecteur à comprendre le lien qui existe entre « deux mondes.» Mais, le dynamisme du texte, on dirait même sa belle facilité qui rend la lecture sympathique, est cette manière faite de légèreté, comme dans un pas de danse, d ‘écrire dans l’apesanteur. Même dans les moments les plus intenses, cette légèreté de dire traverse les paragraphes quand il est question de libérer « l’esprit de Lisbeth. »
C’est sur une note optimiste que se termine le récit « Magalie sentit une brise légère contre sa joue. Elle sut que c’était Lisbeth. Elle ne revit pas la silhouette fine du fantôme, mais entendit une voix murmurer distinctement dans sa tête : Merci. »
Le Fantôme de Lisbeth, roman Jessica Fièvre
Imprimerie Media-Texte, 2007