Le bus s’arrête… la porte s’ouvre… je grimpe. Je tends ma monnaie au chauffeur pour obtenir mon ticket. Il me le donne et s’inquiète « Vous êtes certain d’avoir choisi le bon trajet ? ». Je m’étonne d’une telle question qui me fait douter. Je réfléchis, puis… « Oh, oui ! ». Il pince les lèvres, semblant hésiter… et finit par appuyer sur un bouton pour fermer la porte. Il prend son inspiration, attrape le volant et démarre…
J’avance, en déséquilibre, me cramponnant aux poteaux en fer jalonnant le couloir. Les premiers sièges sont occupés par les plus jeunes. On rigole à l’avant du bus ! On s’éclate ! Une voix me questionne : « C’est la première fois que tu prends un bus ? ». Je lui réponds « oui » timidement. Quel bonheur de pouvoir interpeller n’importe qui sans se gêner. Qu’il est bon d’être adolescent ! Me voilà d’ailleurs en train de shooter dans un ballon qui a roulé jusque vers mon pied. Et celui qui venait le chercher l’attrape d’un crochet du pied, se retourne, puis s’enfuit en dribblant ses camarades. Le bus s’arrête quelques instants… puis repart.
Je poursuis alors mon chemin, pour trouver une place assise. Je suis interpellé par un « Eh, mec ! ». Je me retourne. C’est une bande de gamins moqueurs et provocateurs. « Tu marches sur la lanière de mon sac ! ». Je regarde au sol… en effet… ma chaussure écrase une sangle. Servant visiblement de cartable à ce lycéen, son sac est badigeonné de plusieurs slogans « A mort l’Etat », « Liberté pour moi », et tant d’autres mots de la sorte. Je lève le pied, et à mon tour, je le provoque par un « Tire dessus maintenant, que je puisse reposer mon pied ! ». Les gars éclatent de rire et le propriétaire me demande « Pose ta sacoche, toi, que je la piétine à mon tour ! ». Je laisse tomber et m’enfonce dans le bus. Je m’attends à ce qu’il m’agrippe ou m’interpelle, mais il est déjà loin derrière moi et semble avoir abandonné ce défi. Le véhicule s’arrête quelques instants… puis repart.
Je me porte au fond du couloir et ne trouve toujours pas de siège disponible. Un parapluie tombe à mes pieds. Je me baisse pour le ramasser et cherche autour de moi… Une femme tend une main ridée et tremblante dans ma direction. Je lui remets et constate à mon tour que ma main trahit mon âge. La dame me remercie : « C’est gentil, monsieur. Merci bien. ». Un arrêt de quelques instants… puis nous repartons…
Enfin j’accède aux dernières places assises. Mais aucune n’est disponible à cet endroit. Un mal de dos me titille et je n’arrive plus à avancer aussi vite. Soudain un homme se lève, difficilement, s’accroche à l’une des poignées à côté de son siège, puis s’y extirpe comme il peut pour se placer debout, après un effort long et douloureux. Il se tourne vers moi, m’observe des pieds à la tête, me sourit, puis me montre le siège qu’il vient de laisser.
Habituellement, c’est plutôt moi qui laisserais ma place à un vieillard, mais cette fois-ci, n’en pouvant plus, j’accepte son invitation. J’attrape péniblement les barres de fer plus ou moins bien disposées autour de moi, pour me diriger vers le siège, puis je me laisse tomber comme une masse en poussant un « ouf » de soulagement.
Je m’adresse alors au vieil homme : « Merci ! Mais… vous ? ». Il me répond d’une voix presqu’agonisante et très lentement : « Chacun son tour, vous savez. Je descends au prochain arrêt. Vous me poussez vers la sortie ! Ha ha ha… ». Je l’interroge « Mais… alors l’arrêt après le vôtre… sera… le mien ? ». Il acquiesce : « Tout à fait. C’est dans l’ordre des choses… ». Le bus s’arrête quelques instants… le vieillard descend péniblement… puis le véhicule repart.
Je frissonne de froid. Mon dos n’a pas su apprécier le réconfort d’un siège puisqu’il continue de me faire souffrir. Mes pieds s’engourdissent et ma vue devient floue. J’entends un bruit de pas derrière moi… qui s’approche… s’approche… puis s’arrête tout près de moi. J’entends sa respiration, ressemblant à un râle tant elle paraît difficile… Alors je me vois en train de me lever, difficilement, m’accrochant à l’une des poignées pour me placer debout. Je lui montre le siège libéré. Il s’y installe avec difficulté, puis pousse un « ouf ! » de soulagement. Je me tourne vers la dernière porte du bus et je comprends… que je vais devoir descendre au prochain arrêt. Cette fois-ci, c’est mon tour… c’est dans l’ordre des choses. Le véhicule s’arrête. La porte s’ouvre. Je regarde une dernière fois autour de moi… puis descends les marches…
« La vie est trop courte pour être petite. » (Benjamin Disraeli)
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Cypris (France) est informaticien depuis 20 ans chez les Pompiers. Il est âgé de 43 ans, est marié, a deux enfants et un petit-fils. Il commence la poésie à quatorze ans et la poursuit de manière soutenue à vingt-six ans. Il continue d’écrire et s’adonne aux concours littéraires. Il reçoit de multiples prix dont plusieurs premiers prix en poésie libre, classique, contes… Il a vingt-sept ans quand il termine son premier recueil, portant le nom du poème-phare: L ’Alphabet de ma Vie. C’est un amoureux de la flore et il y consacre son second recueil Flor ’Amour. Ses poèmes sont de style classique (sonnet, triolet, pantoum, ballade…). Ils sont présentés sous forme de conte, comme si l’auteur découvrait la nature avec les yeux émerveillés d’un enfant… Cypris a également publié un guide de versification, pour aider les nouveaux auteurs, sous forme de fiches indépendantes sous le titre Comment l’écrire ? Enfin, c’est en adoptant le style humoristique qu’il publie son troisième recueil Poésironie. Ses derniers écrits sont des nouvelles de fiction.